Raji: An Ancient Epic ou l'étonnante victoire du mal

Dernièrement, une vague de promotions s'est étendue sur le Nintendo eShop de la Nintendo Switch avec pas mal de réductions sur une vaste sélection de jeux. Comme je joue assez rarement de moi-même aux jeux indépendants, je me suis dit qu'il serait de bon goût de profiter de ces prix doux pour zieuter un peu la boutique en ligne de la Switch, histoire de me prendre quelques titres plus ou moins connus et ainsi de parfaire ma culture vidéoludique. C'est ainsi que je me suis retrouvé à jouer à Raji: Ancient Epic qui m'a étonné sur plusieurs aspects.

Raji en quelques mots

Raji: An Ancient Epic est un jeu indépendant développé par le studio Nodding Heads Games. Sa particularité ? Son ambiance et son gameplay tournant autour de la culture indienne et du panthéon hindou. Le joueur évolue dans de splendides décors inspirés des paysages de l'Inde et tous les éléments du gameplay sont inspirés de près ou de loin des légendes de la mythologie hindoue.

Je ne reviendrai pas sur les qualités et les défauts du jeu : j'en ai déjà publié un test complet sur Switch-Actu et je vous invite à le lire si vous êtes curieux !

Le but de ce billet n'est donc pas de donner mon avis sur Raji: An Ancient Epic mais d'aborder un point très précis qui m'a quelque peu perturbé, à savoir la narration du jeu. Quelques éléments de contexte sont bien évidemment nécessaires pour vous expliquer tout ceci : dans Raji: An Ancient Epic, vous incarnez la jeune Raji, une artiste de rue qui part à la rescousse de son petit frère enlevé par le redoutable Mahabalasura, un sorcier aux pouvoirs terrifiants et bien décidés à lâcher les démons hindous sur terre. 

Une narration qui finit en "meh"

L'objectif ultime du jeu est donc de poursuivre votre ennemi à travers les niveaux du jeu ce qui passera par de nombreux combats contre des monstres ainsi que des boss. Tous vos faits et gestes seront d'ailleurs commentés par les dieux du panthéon hindou, Vishnou et Dourga, qui suggèrent régulièrement que Raji est plus qu'une simple mortelle. Selon eux, la jeune héroïne est promise à un destin précis et son rôle dans l'affrontement face à Mahabalasura n'est en rien du au hasard. En bref, on pressent toute une épopée à venir !

On arrive rapidement à la conclusion de l'histoire qui se traduit (vous l'aurez deviné) par un combat final vous opposant à Mahabalasura et contre lequel vous disposerez d'une arme unique (et relativement cheatée). Tout un dialogue se déroule entre Raji et le boss final qui exprime sa surprise face à cette petite humaine qui aura réussi à se frayer un chemin à travers ses armées de démons. On pressentait donc une victoire éclatante lorsque l'on aurait retiré tous ses points de vie à ce satané sorcier. Une preuve que même une jeune enfant peut abattre un puissant démon avec sa force et son courage, presque une version indienne de Mulan en somme !

Et pourtant, quelle ne fut pas surprise au terme de ce combat de boss ! Lorsque vous parvenez à mettre sa jauge de vie à zéro, une cinématique s'engage et se charge de narrer la conclusion de Raji: An Ancient Epic. Mahabalasura parvient à s'échapper et à ouvrir un étrange portail duquel s'échappent les esprits du mal du panthéon hindou. S'ensuit alors une déclaration de Dourga qui dit d'une voix sombre "Qui sait quelles horreurs s'abattront sur terre maintenant ?" avant qu'une autre cinématique ne démarre pour illustrer les retrouvailles entre Raji et son petit frère. Enfin, le générique de fin commence et basta.


Un contraste des plus frustrants

En bref, on se retrouve avec une fin nuancée : certes, Raji retrouve son petit frère après bien des épreuves mais à quel prix ? On sait désormais que Mahabalasura a atteint son but malgré la victoire du joueur lors du combat et l'avenir paraît bien sombre désormais.

Cette conclusion m'a laissé un tenace sentiment d'amertume tant que je l'ai trouvée facile à placer. Attention, je ne suis pas contre les fins tragiques, que ce soit dans les jeux ou dans tout autre domaine. J'avais même "espéré" une conclusion de cet acabit dans Hyrule Warriors : l'Ère du Fléau qui a été très rapidement vendu comme un véritable préquel à Breath of the Wild et j'étais curieux de voir comment les évènements dramatiques évoqués dans le jeu canonique seraient relatés. Au final, ceux qui ont joué à l'Ère du Fléau savent qu'il n'en fut rien. 

Ceci pour dire que je n'ai donc pas d'a priori par rapport aux fins tragiques mais que j'estime qu'elles doivent être justifiées, surtout dans le cadre d'un jeu vidéo qui vous montre la montée en puissance progressive de son protagoniste (et par extension du joueur). Quand le générique de fin s'est lancé, je me suis sincèrement demandé "À quoi bon ?". Certes, l'objectif de réunir Raji et son frère a été atteint mais quel intérêt puisqu'ils mourront très probablement suite à l'invasion de Mahabalasura ? À quoi rimaient toutes ces insinuations de Vishnou et Dourga sur la supposée destinée de Raji pour qu'elle échoue par un simple tour de passe-passe ? Tout a donc été fait en vain ?


Une autre vision du destin ?

Vous l'aurez donc compris, j'ai été surpris et frustré de la conclusion de Raji: An Ancient Epic. Pour autant, on tient également une différence très intéressante dans la vision d'un récit d'aventure. Dans de nombreux récits d'aventures récents, beaucoup de héros sont considérés comme des élus, que ce soit du destin ou des dieux, intrinsèquement liés à la source du mal : Link est le héros élu des déesses et fait partie du triangle dans lequel se place Ganon/ Ganondorf, Harry Potter fait l'objet de la fameuse prophétie qui le lie à Voldemort, Bran Stark est choisi par la Corneille à Trois Yeux pour affronter le Roi de la Nuit.

Le point commun entre ces différents récits est que le héros est élu par une force omnisciente, immatérielle et que l'on pourrait supposer infaillible. Chacun accomplit sa destinée et parvient à vaincre le mal : leur courage en est la principale raison mais il y a toujours cette idée que leur victoire était plus ou moins écrite par des forces supérieures.

Dans Raji: An Ancient Epic, les choses semblaient suivre un chemin similaire. À mesure que le joueur triomphe des nombreux combats du jeu, Vishnou et Dourga sont de plus en plus convaincus que Raji est une élue du ciel et dont la victoire sur le mal ne peut qu'être certaine. Pourtant, malgré une puissance et une assurance qui ne font que croître, l'héroïne est mise en échec et ne parvient pas à stopper Mahabalasura

On peut alors voir une vision très intéressante de cette notion de destinée revenant régulièrement dans les récits héroïques : rien ne dit que le bien l'emportera toujours, qu'importe ce qu'une prophétie ou un dieu puisse en penser. On nous montre également une représentation bien peu flatteuse de Vishnou et Dourga qui voient leurs certitudes balayées en une cinématique et leur nature de dieux omniscients se fissurer alors que rien ne semble capable d'arrêter Mahabalasura désormais.


Certains jeux avaient déjà pris le pari d'offrir une fin tragique, à l'image du premier Outlast, mais celle-ci était rendue cohérente par un ensemble de facteurs inhérents à l'histoire du titre. Dans Raji, j'ai plutôt eu le sentiment d'une fin expédiée à la va-vite et surtout injustifiée quand on pense à toutes les épreuves traversées par la jeune héroïne. Elle donne néanmoins une vision assez inhabituelle du destin d'un héros : peut-être qu'avec une fin un peu mieux amenée, Raji: An Ancient Epic aurait pu ouvrir la voie à une rupture des conventions du jeu vidéo qui, majoritairement, autorise le joueur à savourer son succès. Il y a également moyen que Nodding Heads Games nous propose une suite directe au jeu afin de botter comme il se doit les fesses de Mahabalasura ! En bref, cette aventure fut frustrante mais diablement intéressante et j'ai hâte de voir les prochaines productions de ce studio.


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